Israël et L'Humanité - Le thoschab du Pentateuque

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§ 2.

LE THOSCHAB DU PENTATEUQUE.

Nous trouvons, il est vrai, les deux épithètes réunies et appliquées à une même personne. C'est Abraham qui parle: « Je suis gher et thoschab parmi vous » dit-il aux fils de Heth [1] Mais les deux titres signifient ici que le patriarche faisait alors valoir dans sa requête la qualité toujours respectable d'étranger et celle de concitoyen, domicilié dans le pays. [2]L'Exode mentionne le thoschab à côté du sachir ou mercenaire à propos de l'agneau pascal que ni l'un ni l'autre ne sont autorisés à manger [3]. Qu'est-ce, dans ce cas, que ce thoschab? Il ne s'agit certes pas de l'Israélite qui est justement tenu de célébrer la Pâque, ni du Gentil pur et simple qui se trouve exclu par le verset précédant: « Aucun étranger (ben nechar) n'en mangera [4]. Ce n'est pas davantage du païen converti au moment qu'il peut être question, puisque ce dernier, dans le même chapitre, est assimilé complètement, après la circoncision, à l'Israélite de naissance [5]. Moïse, ne peut donc vouloir parler que du prosélyte de la porte (gher thoschab) que la Tradition soumet uniquement à la loi noachide et non à celle d'Israël et s'il est spécialement nommé dans ce passage, alors que l'interdiction qui le concerne est déjà implicitement formulée dans la règle générale défendent d'admettre aucun incirconcis à manger l'agneau pascal, ce ne peut être que parce que son culte noachide regardé comme juste et légitime à l'égal de celui d'Israël aurait pu le faire croire autorisé à prendre part, quoique incirconcis, à la célébration de la Pâque. Peut-être aussi était-il réellement circoncis d'après l'opinion de certains Rabbins que nous aurons à examiner plus loin et qui soumet à ce rite le noachide lui-même [6].

Quoi qu'il en soit, cette identité du thoschab du texte mosaïque avec le gher toschab ou prosélyte de la porte des Rabbins doit être raisonnablement étendue à tous les cas où ce nom se trouve mentionné dans le Pentateuque. Il est inadmissible qu'un même mot soit pris dans des acceptions totalement différentes et ce passage relatif à la Pâque nous donne une fois pour toutes sa véritable signification. Dans le Lévitique XXV, 6, à propos de la distribution des produits de l'année sabbatique, le thoschab est également cité à côté du sachir qui désigne incontestablement le mercenaire israélite. Nous voyons encore dans le même livre ce terme employé dans des conditions analogues, mais avec une légère variante; il s'agit de ceux qui ne peuvent manger des victimes consacrées et le texte comprend dans ce nombre « le toschab du prêtre et le mercenaire [7]» Quel sens peut-on donner au premier de ces noms?[8] Puisque ce verset règle la position de l'Israélite mercenaire et que le suivant s'occupe de celle de l'esclave païen acheté par le prêtre:« Un esclave acheté par le prêtre à prix d'argent pourra en manger [9] », le thoschab en question ne peut désigner que le gentil idolâtre ou le prosélyte de la porte des Rabbins, occupés l'un ou l'autre comme mercenaires dans la demeure du prêtre. Mais pourquoi le premier serait-il qualifié de thoschab, citoyen, alors que sa situation de païen serait passée sous silence? Ne sait-on pas que c'est seulement à titre d'esclave, sans rachat ultérieur, si ce n'est avec le consentement du maître, que l'étranger polythéiste se trouve placé sous la dépendance de l'Israélite, tandis que la condition du prosélyte subordonné au Juif est précisément celle de mercenaire? « Tu n'opprimeras point le mercenaire pauvre et indigent, qu'il soit l'un de tes frères ou l'un de tes prosélyte demeurant dans ton pays, dans tes portes [10] ».Ces derniers mots, qui semblent surabondants, servent justement à indiquer la demeure fixe et régulière qui caractérise le noachide d'après l'Ecriture et la Tradition. C'est donc de celui-ci et non pas du païen qu'il s'agit, lorsque Moïse parle du « thoschab du prêtre » en même temps que du mercenaire Israélite.

Un autre verset du Lévitique mérite également notre attention: « Si ton frère devient pauvre près de toi et qu'il se vende à toi, tu ne lui imposeras point le travail d'un esclave. Il sera chez toi tomme un mercenaire (sachir), comme un thoschab; il sera à ton service jusqu'à l'année du jubilé[11]». Bien que Raschi et Onkelos semblent confondre dans leur paraphrase de ce passage les deux appellations, on ne voit pas pourquoi deux noms différents auraient été employés pour désigner seulement l'Israélite employé comme mercenaire. Dans notre hypothèse au contraire, la comparaison s'explique parfaitement; les prosélytes de la porte (thoschabim) sont assimilés aux mercenaires israélites et les uns et les autres aux esclaves hébreux dont la loi du rachat est exposée dans ce chapitre. Quelques versets plus loin il est parlé du gher et du thoschab et du droit qui leur est reconnu d'acheter des Israélites comme esclaves [12]. L'étranger indiqué par le second de ces noms ne peut être que le gher toschab , le prosélyte de la porte selon la Tradition, autrement [13]quel besoin y aurait-il, ici encore, d'une double qualification? Et en quoi ces deux catégories de Gentils peuvent-elles différer, si ce n'est en ce que la désignation de gher s'applique au prosélyte de justice et celle de thoschab, au simple noachide? Car on ne saurait supposer qu'il s'agisse du Gentil polythéiste auquel se réfère, d'après la Tradition, la locution suivante du même verset: « Quelqu'un de la famille du gher».

Dans Nombres XXXV, 15 les deux mêmes noms apparaissent de nouveau et, fait très remarquable, ces deux classes d'étrangers sont mentionnées après les Israélites: « Ces six villes serviront de refuge aux enfants d'Israël, au gher et au toschab qui sont parmi eux », en sorte que, d'après le texte, la société juive se composait de l'Israélite, du gher ou prosélyte de justice et du toschab, qui équivaut au gentil noachide au prosélyte de la porte.

Avant d'abandonner cette étude du mot toschab, presque toujours accompagné dans le Pentateuque de celui de gher, qu'il nous soit permis d'appeler l'attention du lecteur sur une image qui revient souvent dans la Bible et surtout dans les psaumes, par laquelle la vie de l'homme est comparée vis-à-vis de Dieu à la condition du gher ou du thoschab. « Je suis un pélerin (gher) devant Toi, S'écrie David, un thoschab comme tous mes pères [14]». Il semble qu'il y a dans ces paroles du chantre sacré une réminiscence de ce passage du Pentateuque dans lequel Dieu dit à Israël: « C'est à moi que la terre appartient, car vous êtes chez moi comme des pèlerins (ghérim) et comme des toschabim [15]». De même dans la prière suprême de David, nous trouvons une allusion semblable: «Tout vient de Toi et nous recevons de Ta main ce que nous T'offrons; nous sommes devant Toi des étrangers (ghérim) et des hôtes (toschabim) comme tous nos ancêtres [16]». Ainsi l'homme sur cette terre comme l'israélite en Palestine se trouvent vis-à-vis de Dieu dans la même situation que le gher ou le thoschab, c'est-à-dire le prosélyte par rapport à Israël. Il y a là une conception intermédiaire entre celle du paganisme et celle du christianisme. Le paganisme, selon la juste remarque de Sainte-Beuve, parle de la mort par la bouche d'Horace comme d'un exil éternel, tandis que pour le chrétien elle est au contraire un retour à l'éternelle[17] patrie. Le païen ne place la patrie que sur cette terre; le chrétien ne la voit que dans le ciel. L'hébraïsme reconnaît bien que l'existence présente est un pèlerinage, mais il ne laisse pas pour cela de croire que le temps est un moment de l'éternité et que l'homme étant, même ici-bas, en communion avec Dieu qui est le maître souverain de l'univers, il se trouve dès à présent en possession de la vie éternelle.


References

  1. Genèse , XXIII, 4.
  2. Page 582
  3. Ibid. versets 48, 49.
  4. Exode, XII, 43.
  5. Ibid. versets 48, 49.
  6. Alfassi dans Aboda Zara, ch. I.
  7. Ibid. XXII, 10
  8. Page 583
  9. Ibid. verset, 11.
  10. Deutéronome, XXIV, 15
  11. Lévitique, XXV, 39, 40
  12. Lévitique, XXV, 47
  13. Page 584
  14. Psaume, XXXX, 13
  15. Lévitique, XXV, 23.
  16. I Chronique, XXIX, 14, 15.
  17. Page 585