Israël et L'Humanité - Les atéles des frontières palestiniennes

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II.

Les stèles des frontières palestiniennes.

Nous devons signaler ici un fait en lui-même assez obscur, mais qui nous paraît se rattacher au sujet qui nous occupe présentement; c'est que la Loi tout entière devait être écrite sur des pierres exposées à la vue de tout le monde. Nous voyons que, dans le Deutéronome, l'ordre est donné aux Hébreux de dresser de grandes pierres de l'autre côté du Jourdain, de les enduire de chaux et d'y graver « toutes les paroles de la Loi ». Ces pierres devaient être dressées sur le mont Ebal et à côté d'elles, il était commandé à Israël d'élever un autel et d'y offrir au Seigneur des holocaustes et des sacrifices d'actions de grâces. Le texte sacré ajoute que les paroles de la Loi devaient être gravées très nettement [1].

Il ne s'agit dans ce passage que d'une seule prescription, mais la tradition talmudique [2]nous parle de deux répétitions du même fait dont la première aurait eu lieu au temps de Moïse lui-même dans la région en deçà du Jourdain et l'autre à l'époque de Josué à Guilgal; les pierres auraient été ensuite érigées sur le mont Ebal selon l'ordre divin. Entre ces deux circonstances identiques, la tradition place l'érection faite par Josué de pierres au milieu du Jourdain en souvenir de son passage. En outre, il n'est pas douteux que, d'après le Talmud, Moïse n'ait écrit la Loi de sa main une première fois sur les pierres qu'il avait dressées.

Quant à la manière dont la transcription prescrite par le grand législateur a été effectuée, nous voyons les avis des Docteurs divisés [3]dans le Talmud. Selon R. Jehouda, les Hébreux, après avoir écrit la Loi sur les pierres, auraient enduit celles-ci de chaux. Et comme R. Simon lui fait observer avec raison que, dans ce cas, les peuples gentils de ce temps là se seraient trouvés dans l'impossibilité d'apprendre la Loi, il répond: « Dieu leur donna un surcroît d'intelligence et ils envoyèrent des scribes ( notarim ) qui détacheront la couche de chaux et copièrent la Loi; c'est pourquoi la sentence de condamnation a été prononcée contre eux, car ils auraient dû apprendre, se trouvant en état de le faire, et ils n'ont point appris ». R. Simon soutient au contraire que l'écriture a été tracée sur l'enduit lui-même et qu'au dessous de toutes les inscriptions se trouvait ce verset: « Afin que vous ne soyez point induits à imiter les abominations des Gentils », d'où le Talmud tire cette conclusion que si les peuples païens se convertissaient, ils seraient acceptés dans la société d'Israël.

Les Docteurs talmudiques nous disent encore que, de même que le son de la voix divine sur le Sinaï se répercutait en soixante-dix idiomes différents, par allusion au nombre total des nations de la terre selon les Rabbins, la Loi était écrite sur les pierres en autant de langues étrangères.

On s'est demandé également, et cette question est évidemment plus importante, ce qui était écrit sur ces pierres destinées, de l'avis de tous, à porter à la connaissance de tous les peuples, la loi des Juifs. Le texte dit à la vérité: « toutes les paroles de cette Loi », mais qu'est-ce-que Moïse entendait par là? Au moment ou il formulait cette prescription, le livre complet de la loi existait-il déjà ? Se trouvait-on alors seulement en présence d'un de ces rouleaux qui, de l'avis de certains Docteurs [4], servirent de matériaux pour la rédaction du Pentateuque, ou bien, s'il s'agit réellement de la loi entière, était-ce dans sa forme intégrale ou simplement en abrégé, comme on en a émis l'hypothèse [5], qu'elle devait être écrite? On a dit aussi que l'ordonnance en question concernait uniquement le Deutéronome, soit parce que ce livre forme, indépendamment des autres, un tout complet dans le recueil des écrits mosaïques, soit parce que c'est dans cet ouvrage que le précepte est mentionné, soit enfin parce qu'un passage de Josué semble le désigner particulièrement : « Et là, est-il dit, Josué écrivit sur les [6] pierres le double de la Loi que Moïse avait écrit en présence des enfants d'Israël [7] ». Il ne faut pas oublier en tout cas que le texte mosaïque a soin d'ordonner que les pierres soient grandes [8] et le Talmud rapporte le récit de témoins oculaires affirmant qu'elles étaient chacune du poids de quarante sea [9]

Ibn Esra mentionne l'opinion de R. Saadia qui réduit l'inscription à une liste de formules dont chacun résumait un précepte de la Loi. Ce qui ne nous paraît, quant à nous, nullement improbable, c'est que l'ordonnance de Moïse concerne les bénédictions et les malédictions contenues au XXVII <super> e </super>chapitre du Deutéronome. Nous sommes enclins à le croire en voyant que la malédiction prononcée sur le mont Ebal semble s'adresser non pas seulement à Israël, mais aux peuples gentils et c'est là d'ailleurs la seule manière d'expliquer pourquoi, par une singulière exception, de tous les préceptes de la Loi ceux qui se trouvent indiqués dans cette malédiction ont seuls été choisis pour faire l'objet d'une proclamation publique. Les circonstances dans lesquelles cette proclamation a eu lieu viennent aussi à l'appui de cette conjecture. C'est au début de la conquête de la Palestine, à l'entrée même de ce pays, car Garizim et Ebal se trouvent situés à proximité de la frontière orientale. Là, entre ces deux imposantes montagnes, retentit cet Amen solennel prononcé par tout Israël et le contenu tout moral et tout rationnel de la publication ne permet guère à douter qu'elle visait spécialement les populations païennes et les habitants de la Palestine en particulier. Il est manifeste qu'elle menace des prévarications cachées, comme on pouvait naturellement s'attendre à en rencontrer chez des vaincus et les fornications maudites sont précisément celles qu'on dit avoir été si communes chez les anciens possesseurs du pays que Dieu avait décrété pour ce motif leur expulsion définitive. Il faut remarquer en outre certaines prescriptions qui tendent, semble-t-il, à rassurer les vaincus sur l'impartialité avec laquelle les nouveaux dominateurs jugeraient les habitants pacifiques et soumis à la loi noachide, soit en ce qui concerne la vie et la propriété individuelle [10]soit dans les procès que le gher ou prosélyte aurait à soutenir devant le tribunal [11]israélite [12]. L'imprécation contre ceux qui font égarer l'aveugle dans le chemin est surtout caractéristique, si, comme il est raisonnable de le supposer, ce nom d'aveugle s'applique à quiconque demandait des renseignements sur la route à parcourir dans une contrée pour lui encore inconnue.

En admettant l'hypothèse que nous proposons, on s'explique, pourquoi l'usage d'écrire la Loi sur des pierres exposées à la vue de tous n'a pas continué en Israël. Il s'agissait d'atteindre chez les peuplades cananéennes un but déterminé et de se conformer pour cela à leurs coutumes. On sait en effet qu'elles avaient l'habitude de graver leurs lois sur des colonnes de pierre. Il en était de même en Egypte où nous trouvons la Pierre de Rosette contenant trois inscriptions en trois langues et autant d'écritures. Hipparque, fils de Pisistrate, voulant répandre la sagesse jusque dans les campagnes, fit également élever sur toutes les routes des stèles où se lisaient des préceptes de ce genre: « Marche dans la voie de la justice; ne trompe pas ton ami » [13]. Dans les lois orales (agrafa) qui, dit M. Havet, étaient enseignées dans les mystères, on condamnait, suivant Cicéron, celui qui n'indiquait pas le chemin au voyageur égaré et, chose plus singulière, c'était là un crime qu'on punissait d'une malédiction publique. Or nous trouvons dans le texte que nous croyons avoir été gravé sur les pierres au temps de Josué, toutes ces condamnations formulées de la même manière.

Nous comprenons aussi pourquoi il est question de bénédiction pour ceux qui n'enfreindraient point ces préceptes, ce qui n'a pas laissé de surprendre certains écrivains, car l'abstention tout élémentaire de telles énormités ne paraît pas en effet mériter des promesses spéciales de récompense. Les peuples dont il s'agit étaient cependant tombés si bas que ces coupables pratiques étaient chez eux générales, en sorte que les encouragements n'avaient rien d'exagéré en cette circonstance. Mais quoique le texte sacré parle de bénédiction aussi bien que de malédiction, c'est uniquement celle-ci qui se trouve explicitement mentionnée, la premiere n'étant qu'un expédient momentané exigé par l'état particulier des populations auxquelles elle s'adressait et disproportionné au mérite d'une vertu si vulgaire.

Le précepte mosaïque relatif à la transcription de certains fragments de la Loi qui devaient être attachés soit au front et [14]au bras, soit aux poteaux des maisons et des villes, sort de confirmation à notre explication, car le passage à écrire dans les copies en question, c'est justement celui qui contient l'ordre de les faire [15] de même que le commandement de graver la Loi sur les pierres est contenu dans le texte où se trouvent relatées les malédictions en question. Ce rapprochement entre le précepte domestique de la mezouza et la prescription relative aux stèles à élever à l'entrée de la Terre Sainte a été entrevue par Abrabanel. Il se justifie davantage encore si l'on se rappelle que l'ordonnance de la mezouza est, d'après la Tradition, applicable aux portes des villes et des provinces aussi bien qu'à celles des maisons. La mezouza de toute la Palestine se trouverait donc représentée à son tour par les douze pierres dressées sur ses frontières.

On voit aussi pourquoi la Tradition attribue à Moïse une première érection de stèles semblables, bien que l'Ecriture soit muette à cet égard: c'est que le législateur hébreu ayant lui-même commencé la conquête par la soumission de Sihon, roi des Amoréens, et de Og, roi de Basan, il fut conséquent avec lui-même en accomplissant dans les provinces en deçà du Jourdain ce que Josué, son successeur, devait faire plus tard sur son ordre pour les contrées qu'il était appelé à conquérir au delà du fleuve.


References

  1. Deutéronome, XXVII, 2-8.
  2. Sota 32 <super> b </super>; 36 <super> a </super>
  3. Page 560
  4. Ghittin 60 <super> a </super> </span> </li>
  5. Voir Ibn Ezra <i> in loco </i>.
  6. Page 561
  7. Josué , VII, 32
  8. <i> Abanim ghedolot </i>, Deutéronome, XXVII, 2
  9. Tosephet Y. T. dans <i> Pea </i> VI, 6.
  10. V. versets 17, 24, 25.
  11. Page 562
  12. Vers. 19.
  13. V. Havet, Le Christianisme et des origines, Tome I, p.40.
  14. Page 563
  15. Deutér. VI, et suivants; XI, 13 et suivants.
  16. </ol>