Israël et L'Humanité - Les attributs divine

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CHAPITRE DEUXIÈME

L'IDÉE DE DIEU EN ISRAËL

LE DIEU UNIQUE

I.

Les attributs divins.

L'origine du monothéisme chez les Juifs est très discutée par les critiques. Non contents de ramener les commencements de la foi au Dieu Un à une époque relativement récente, plusieurs d'entre eux vont même jusqu'à nier qu'elle ait jamais atteint en Israël une perfection telle qu'elle pût exclure tout reste de polythéisme. Mais elle a existé cependant, voilà le fait incontestable. On a beau rapprocher la date, il est des limites que les règles d'une saine critique ne permettent pas de dépasser et l'antiquité de cette croyance reste encore telle qu'on ne peut raisonnablement l'attribuer aux seuls progrès de l'esprit humain.

Longtemps avant que les Alexandrins aient synthétisé les divinités de l'ancien Olympe dans leur système de théurgie, avant que les philosophes grecs aient traité les hauts problèmes de la métaphysique, Israël avait déjà parlé de l'unité de Dieu et il n'avait pas attendu l'exemple des chrétiens pour courir joyeusement au martyre plutôt que d'adorer les idoles. Comment supposer qu'en des temps d'ignorance, de barbarie, de haine entre les peuples, des hommes dénués de toute culture philosophique aient pu s'élever à des conceptions supérieures à celles de Socrate et de Platon? C'est[1] là, nous dit‑on, un instinct spécial de la race, et nous n'y contredisons pas. Mais qu'est‑ce que cette explication, sinon l'aveu déguisé qu'il y a là une manifestation échappant à l'analyse et aux lois de l'évolution historique, un fait qui ne peut rentrer dans la chaîne des causes et des effets, une intuition particulière, toutes choses que la langue religieuse résume dans le nom de Révélation? Et d'ailleurs, si l'on en est réduit à déclarer que le monothéisme chez les Juifs est un instinct de la rue et non le fruit d'une élaboration et d'un développement intellectuel, on avoue par là qu'il dut apparaître au début et non au cours de leur histoire. Il suffit d'étudier sous ses divers aspects la conception israélite de la Divinité pour y trouver les caractères du véritable monothéisme. En outre, si à cet égard nous découvrons à toutes les époques en Israël des idées d'une telle élévation, d'une telle richesse que la théologie la plus développée n'eu a pu, dans la suite, exposer de plus parfaites, l'antiquité et l'originalité de ce monothéisme nous paraîtront en même temps surabondamment démontrées.

Le Dieu d'Israël est incréé : « Avant moi il n' a point été créé de Dieu... je suis le premier et je suis le dernier [2]. De Lui seul toutes choses tirent leur existence, c'est donc que Lui‑même ne doit la sienne à personne. Ses noms les plus anciens, El, Schaddaï, indiquent la force, la toute puissance et si le second a de plus une autre signification, c'est un sens plus sublime et plus métaphysique encore. Il est éternel: les cieux, la terre, et tout ce qu'ils renferment vieillissant comme des vêtements qu'il faut changer, mais Lui au contraire, Il est et demeure le même éternellement [3]. Immense, infini, Il l'est aussi « N'est‑ce pas moi qui remplis les cieux et la terre? dit l'Eternel [4]. Les cieux sont mon trône et la terre mon marchepied » [5] Ibid., VI, 3. , ou plutôt: tout ce qui remplit la terre est sa gloire, , traduction plus exacte peut‑être et plus théosophique. On pourrait établir que le nom de Makom, lieu, donné à Dieu par les Rabbins est emprunté à la Bible; ce qu'il y a de certain, c'est que nous trouvons dans[6] l'Ecriture, celui de Ma'on, qui en est l'équivalent [7] « Où irais‑je loin de ton esprit?» s'écrie le Psalmiste; « où fuirais‑je «loin de ta face? Si je monte aux cieux, tu y es; si je me couche au scheol, t'y voilà! Si je «prends les ailes de l'aurore et que j'aille habiter à l'extrémité de la mer, là aussi ta main me «dirige, ta droite me saisit. Si je dis: Au moins les ténèbres me couvriront ! la nuit devient «lumière autour de moi. Même les ténèbres ne sont pas obscures pour toi; la nuit brille «comme le jour, les ténèbres comme la lumière » [8]

Mais il y a plus. L'idée de l'être en soi, de l'être nécessaire, qu'on serait tenté de considérer comme trop abstraite pour pouvoir exister dans la Bible, s'y trouve cependant très clairement exprimée. N'est‑elle pas d'abord renfermée dans la notion de création qui n'est que le possible dérivant du nécessaire et dans celle d'émanation qui exclut même la possibilité du néant? Mais que dire du tétragramme? N'est ce pas précisément l'idée de l'être qu'il exprime et cette idée, commentée et confirmée par la paraphrase qui précède: « Je suis celui qui est » dont le tétragramme n'est que la formule abrégée, n'implique‑t‑elle pas celle d'existence nécessaire? Les savants peuvent après cela nous démontrer que la même conception se retrouve dans la religion égyptienne, ils ne nous prouvent par là que deux choses: l'erreur de ceux qui croient l'antiquité incapable de telles envolées métaphysiques et la réalité des rapports qui ont existé entre les deux religions. Il reste établi que pour la Bible le Dieu d'Israël est l'Absolu.

Or une telle notion supprime tout polythéisme. Deux absolus sont incompatibles. L'Absolu demeure exclusif et jaloux selon l'expression si frappante de l'Exode: « Je suis l'Eternel ton Dieu, Dieu jaloux [9]. L'Eternel se nomme jaloux; il est Dieu jaloux [10]». Nous avons déjà dit que la prohibition de toute image prouve que le Dieu de Moïse est infini. Un être fini, même immatériel, pourrait toujours à la rigueur être représenté symboliquement sous une forme sensible, pourvu que celle‑ci indiquât les qualités déterminées[11] qu'on entend lui reconnaître. Mais comment donner une figure à l'Etre unique dont les attributs infinis sont en nombre infini, comme dit Spinoza, ou dont les ministres et les anges sont innombrables, pour employer le langage de la Bible qui exprime, croyons‑nous, la même pensée ? Les idoles extravagantes, monstrueuses, les images multiples et fantastiques du paganisme attestent cette impossibilité. Dans un passage assez connu, Strabon dit que Moïse interdit la représentation matérielle de la Divinité, parce que son dieu n'était que l'ensemble des choses, la Nature. Ce texte est précieux en ce sens qu'il établit que l'impression faite par le mosaïsme sur les païens cultivés était précisément celle que donne le judaïsme, de la Kabbale, mais Strabon se trompe en ne voyant dans la conception mosaïque que la Divinité immanente, la Schechina, et non pas l'aspect transcendantal de Dieu. Si le Dieu des Hébreux avait été non l'Infini, mais la Nature, elle aurait toujours été, nous le répétons, susceptible de représentation, car toute grande et puissante qu'elle soit, elle est finie et rien ne s'oppose à ce que le fini trouve dans le fini son image équivalente. Toujours est il que le Dieu d'Israël est unique, soit qu'on veuille voir en lui, comme le géographe grec, l'ensemble du créé, soit qu'on l'adore avec nous comme l'Infini.

Il importe de faire remarquer que les attributs de Dieu chez les Juifs ne se déduisent pas d'un système théologique déterminé; ils apparaissent plutôt comme une intuition de la prière et de l'adoration. Ce manque de spéculations philosophiques est une preuve du génie religieux d'Israël, car l'intuition et la réflexion sont deux facultés qui semblent s'exclure le plus souvent et cela a été observé plus d'une fois par les savants précisément à propos du monothéisme israélite. « La race juive, dit un auteur italien moderne, malgré sa conception de l'unité de Dieu et peut‑être à cause de cette conception lui‑même, pourra posséder et possède très certainement beaucoup de qualités éminentes, géniales, artistiques, l'enthousiasme musical, l'inspiration poétique et une certaine disposition à un vague et superficiel panthéisme, mais il semble que l'énergie pour la spéculation systématique et l'analyse organique lui fasse entièrement défaut » [12]. Et le même écrivain, après avoir déclaré que la Kabbale est la seule philosophie juive,[13] se hâte, pour ne pas contredire sa thèse, d'affirmer avec Hegel qu'il ne faut voir là qu'un amalgame de rudiments d'astronomie, de magie, de thérapeutique, donnant les plus extravagante résultats. Certes, Hegel jugeait d'après les connaissances que l'on avait de son temps et il a même négligé de consulter certains ouvrages de l'époque qui auraient pu lui donner une tout autre idée de ce qui lui paraissait si méprisable. Mais de nos jours on n'est plus excusable d'émettre de telles appréciations, car la science tend de plus en plus à accorder à la Kabbale une très grande importance. Elle ne constitue pas, il est vrai, un système de philosophie à proprement parler, et c'est en quoi l'observation faite à propos de l'inaptitude des Juifs pour ce genre de spéculation garde toute sa valeur, mais comme métaphysique et théologie intuitives, elle reste la plus remarquable preuve de cette faculté qu'on dit caractéristique du génie hébraïque.

L'écrivain que nous venons de citer nous en montre un autre exemple dans le livre même de la Genèse: « Le premier livre de la Bible, nous dit‑il, dans lequel la création et la vie primitive de l'humanité sont représentées par d'antiques traditions et des mythes religieux et philosophiques, est comme une ébauche poétique, un pressentiment de la cosmogonie rationnelle et empirique. Pour qui sait aller au fond des choses, sans s'arrêter aux détails, à la forme mythique, il y a là l'idée de l'évolution de l'abstrait au concret et comme l'embryon d'une vérité que la physique et la métaphysique devront plus tard démontrer. Aussi, comparée aux mythes cosmogoniques des autres religions et même aux mythes poétique et religieux des Grecs, la Genèse de la Bible les surpasse tous en élévation et en pénétration. C'est ce qui explique que Kant, Gœthe, Hegel et Kækel même n'aient parlé de la Bible qu'avec une grande vénération » [14]

Les attributs divins que nous révèlent les Ecritures de même que les récits du livre de la Genèse et les enseignements de la Kabbale, ne font point partie d'un système défini, coordonné. Il faut voir en eux, nous l'avons dit, une intuition de l'âme religieuse d'Israël; mais pris chacun séparément ou rapprochés les uns des autres, ils proclament tous l'existence du Dieu unique et absolu.[15]

References

  1. Page 73
  2. Isaïe, XLIII, 10, XLIV, 6.
  3. Ps. CII, 27,28
  4. Jérémie, XXIII, 24.
  5. Isaïe, LXVI, 1. Et dans Isaïe encore: « Saint, saint, saint est l'Eternel Zebaoth, la terre est pleine de sa gloire
  6. Page 74
  7. Makom, de la racine קום stare, persistere; Ma'on, de la racine עון, quiescere, habitarer. Le mot si justement admiré de Malebranche: « Dieu est le lieu des esprits comme l'espace est le lieu des corps » ne fait que reproduire une idée familière à la Bible et aux Rabbins (Note des éditeurs.
  8. Ps., CXXXIX, 7‑12.
  9. Exode, XX, 5.
  10. Ibid., XXXIV, 14.
  11. Page 75
  12. R. MARIANO, Cristianesimo, cattolicimo e civiltà, p. 176.
  13. Page 76
  14. Ibid. p 183‑184.
  15. Page 77