Israël et L'Humanité - Les livres historiques

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§ 2.

LES LIVRES HISTORIQUES.

Nous avons dit que les critiques sont divisés sur la question de la date de rédaction du Deutéronome et des quatre livres précédents. Mais on peut voir que, quelle que soit la solution à laquelle on s'arrête, il n'est pas douteux que le monothéisme ne soit professé dans le Pentateuque. Nous complèterons notre démonstration en parlant maintenant des livres historiques, c'est‑à‑dire de ceux qui, par leur caractère même, sembleraient moins propres à nous révéler l'état des croyances. Si des ouvrages comme Josué, qui relate les événements d'une époque considérée comme l'âge de fer de l'hébraïsme, comme sa période d'anarchie et de polythéisme, contiennent néanmoins des témoignages précis de foi monothéiste, le fait paraîtra d'autant plus concluant.

Les exégètes modernes estiment que ce livre de Josué est du même auteur que le Deutéronome dont il serait la suite. Il est certain en tout ou que la doctrine est la même dans ces deux écrits. Le narrateur sacré met dans la bouche de Rahab ces paroles: « Nous l'avons appris (le passage de la mer Rouge) et nous avons perdu courage et tous nos esprits sont abattu à votre aspect, car c'est l'Eternel, votre Dieu, qui est Dieu en haut dans les cieux et en bas sur la terre » [1]. Plus loin Josué annonçant au peuple qu'il allait traverser le Jourdain et que l'arche le précéderait dans sa marche, appelle ce palladium d'Israël: «l'arche de l'alliance du Seigneur de tout la terre ». D'après certains exégètes hostiles à l'orthodoxie et qui seraient fort surpris d'apprendre que leur interprétation est précisément en faveur chez les Kabbalistes, l'épithète de « seigneur de toute la terre » s'appliquerait à l'arche et de fait[2] le signe du génitif au mot alliance manque dans l'hébreu [3] Mais quoi qu'il en soit de cette discussion grammaticale, le Dieu d'Israël ou son représentant est nommé Seigneur de toute la terre avec toutes les conséquences qu'implique une telle appellation. A notre avis, dans la circonstance où cette parole est prononcée, le sens ne peut‑être que celui‑ci: l'arche pénétrera la première dans le fleuve et en partagera les eaux, de sorte que vous pourrez le traverser à pied, car le Dieu qu'elle représente est le Maître de l'univers, de la nature et de l'humanité, et il est ainsi en son pouvoir d'abattre les obstacles que vous opposent le Jourdain et les Cananéens.

Le livre des Juges contient la phrase fameuse où Jephté semble regarder Kemosch, dieu d'Ammon, comme l'égal du Dieu d'Israël [4], phrase qui constitue un des principaux arguments de ceux qui nient le monothéisme juif. Mais nous y lisons aussi ces paroles adressées par le même Jephté au roi païen: « Que l'Eternel, le juge, soit aujourd'hui juge entre les Bené‑Israël et les Bené‑Ammon » [5] En appelant le Dieu d'Israël le juge, l'intention de l'auteur est évidemment de déclarer que c'est à Lui seul qu'il appartient de juger les différents entre tous les peuples et par conséquent entre Israël et les enfants d'Ammon, quoique ceux‑ci adorassent un autre dieu. Et qu'est‑ce à dire sinon qu'aux yeux d'Israël ces dieux étrangers ne comptaient pas? Nous voyons en outre que les Hébreux ne négligeaient aucune occasion de proclamer l'unité de Dieu et d'apprendre aux païens que le véritable Juge, c'était non pas la divinité particulière qu'ils adoraient comme tel, mais bien le Dieu de toute l'humanité. Ce texte prouve peut‑être aussi qu'Israël ne considérait pas les autres peuples comme incapables de comprendre le monothéisme, ni même comme entièrement ignorants de cette croyance.

L'action de grâces d'Anne après la naissance de Samuel renferme des paroles remarquables: « Nul n'est saint comme l'Eternel; il n'y a point d'autre Dieu que toi; il n'y a point de rocher comme notre Dieu »[6]. Voici donc, entre autres, un passage dont la critique ne conteste pas l'authenticité et qui nous montre que l'emploi[7] du comparatif dans la Bible, allégué quelquefois comme une preuve de polythéisme, n'exclut pas l'idée de l'absolu qu'il accompagne au contraire. On nous dira peut‑être que s'il nous plait d'entendre les mots: « Nul n'est saint comme l'Eternel; il n'y a point de rocher comme notre Dieu » dans le même sens que s'il était écrit:« L'Eternel est le seul saint; notre Dieu est le seul rocher », on pourrait tout aussi logiquement affirmer que le superlatif appliqué au Dieu d'Israël ne supprime pas la possibilité de comparaison avec d'autres divinités; « il n'y a point d'autre Dieu que toi , signifierait simplement: « pour Israël tu es le seul Dieu ». Mais il est évident que lorsqu'on veut juger du degré d'élévation auquel un esprit est parvenu, c'est ce qu'il y a de mieux en lui qui doit être pris comme mesure de son idéal. Aussi, puisque la croyance à l'unité de Dieu chez les Juifs est établie par des textes nombreux et précis, on ne saurait, pour les convaincre de polythéisme, alléguer certaines formes de langage que les idées courantes de l'époque comportaient et que les rapports incessants avec le monde païen rendaient en quelque sorte nécessaires. Il faut noter aussi que dans le verset qui nous occupe, l'auteur ne juxtaposa pas au hasard deux idées opposées: il place son affirmation: « Il n'y a point d'autre Dieu que toi » comme pour éviter qu'on se méprenne sur le sens de la comparaison qui précède. N'est‑ce pas vouloir dire: « Certes, l'Eternel, notre Dieu, ne peut avoir d'égal en sainteté puisqu'il est le Dieu unique? ». Cet exemple où l'écrivain sacré semble se reprendra et rectifie ses paroles n'est pas unique. Dans ce même livre, il fait dire par l'Eternel à Samuel: « Je me repens d'avoir établi Saül pour roi »; mais aussitôt il corrige cette expression en écrivant cette mémorable phrase qui suffirait à elle seule à montrer ce qu'il faut penser des anthropomorphismes bibliques: « Celui qui est la force d'Israël ne ment point et ne se repent point, car il n'est pas un homme pour se repentir » [8]

Nous trouvons encore dans ce livre un autre exemple d'association du comparatif et de l'absolu: « Que Tu es donc grand, ô Eternel Dieu! car nul n'est semblable à Toi, et il n'y a point d'autre Dieu que Toi, d'après tout ce que nom avons entendu de nos propres oreilles » [9] On remarquera ici que la doctrine de l'unité de Dieu, qui est explicitement formulée, est présentée comme[10] un héritage des ancêtres. Nous n'ignorons pas que la critique rationaliste oppose une fin de non recevoir à ces appels à la tradition; ce ne serait là, d'après elle, qu'une illusion qui fait prendre pour un legs de l'antiquité ce qui n'est en réalité que le résultat des progrès de l'esprit humain. Mais si cela est possible pour l'individu et même dans certains cas pour une Eglise, comment supposer qu'on puisse aisément faire croire à un peuple entier, déjà en possession d'une longue histoire, que la foi nouvelle qui lui est prêchée n'a jamais cessé d'exister dans le passé? En outre, si ces paroles sont gratuitement attribuées à David, elles n'en constituent pas moins une indication précieuse sur les croyances du rédacteur de l'ouvrage et sur celles de son temps qui est antérieur, de l'aveu même des critiques, au retour de la captivité de Babylone.

Les prophètes du VIe siècle avant l'ère chrétienne nous fourniraient incontestablement des textes en très grand nombre en faveur du monothéisme juif. Mais les arguments que nous en pourrions tirer ne sont contestés par personne. Tout au plus nous objecte‑t‑on que même pour certains prophètes, le monothéisme pourrait bien n'être encore qu'une simple monolâtrie. Ces allégations se réfutent par le Pentateuque lui‑même, puisque, d'après les mêmes critiques, les cinq livres de Moïse seraient contemporains ou, pour les plus exigeants, de bien peu postérieure au VIe siècle. La doctrine est bien la même dans tous ces écrits et il n'y en plus, chez les prophètes, que la force du sentiment, l'élévation du style, la beauté de l'éloquence qui ont donné à la foi monothéiste en Israël son parfait achèvement.

References

  1. Josué , II, 11.
  2. Page 89
  3. ארון הברית אדון כל הארץ littéralement : l'arche de l'alliance seigneur de toute la terre (Josué , II, 11).
  4. Juges, XI, 24.
  5. Ibid., XI, 27.
  6. I Samuel, II, 2.
  7. Page 90
  8. I Samuel, XV, 11, 29.
  9. II Samuel, VII, 22.
  10. Page 91

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