Israël et L'Humanité - Les sept commandements

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CHAPITRE NEUVIÈME


LES PRÉCEPTES DE LA LOI NOACHIDE

OU UNIVERSELLE

I.

Les sept commandements.

§ 1.

Nous avoue étudié dans son ensemble le contenu de la loi destinée, d'après le judaïsme, à la gentilité tout entière. Voyons maintenant ce que nous appellerons le noyau central des préceptes noachides que l'on a souvent pris à tort pour cette loi elle-même, alors qu'ils ne forment en réalité que les chefs principaux du statut de l'humanité, comme il résulte de tout ce qui précède.

La plus ancienne Baraïta[1] les énumère ainsi qui suit: « Nos Docteurs ont dit que sept commandements ont été imposés aux fils de Noé: le premier leur prescrit d'avoir des magistrats; les six autres leur défendent: 1<super> e</super> le sacrilège; 2<super> e</super> le polythéisme; 3 <super> e</super> l'inceste; 4<super> e</super> l'homicide; 5<super> e</super> le vol; 6<super> e</super> l'usage d'un membre de l'animal en vie ».

Une autre Baraïta [2] modifie cette nomenclature en substituant aux deux premiers préceptes l'interdiction de la castration et du croisement des diverses races ou du greffage des arbres. On est surpris à première vue de constater que de second texte, qui ne parle plus de la nécessité d'une magistrature, semble admettre la possibilité de l'existence d'une société humaine sans tribunaux[3]chargés d'administrer la justice. Mais il ne faut voir, nous le répétons, dans cette liste de commandements, qu'une méthode de classification et si l'on croit pouvoir omettre l'administration de la justice, c'est que celle-ci doit être considérée comme le côté purement instrumental de la loi noachide et comme une conséquence inévitable de l'existence même de cette loi.

Nous ferons grâce au lecteur des raisons par lesquelles les Rabbins [4]ont essayé de rattacher les sept préceptes au texte de la Genèse qui relate l'autorisation donnée par Dieu à Adam de manger de tous les fruits des arbres du paradis terrestre à l'exception de celui de la science du bien et du mal. Elles n'ont aucune valeur exégétique sérieuse et appartiennent à ce système tout conventionnel qui, aux yeux même des Docteurs, n'a pas de force vraiment probante, mais qui du moins, selon le goût de l'époque pour les subtilités ingénieuses, était destiné à faciliter l'enseignement des doctrines orales en ménageant dans la Bible des points de repère et des traits d'union entre l'Ecriture et la Tradition. Ce que l'on a plus de peine à comprendre, c'est que ces arguties discutables aient fait négliger des preuves beaucoup plus intéressantes que l'on pouvait puiser dans la Genèse elle-même, sinon pour toutes les lois noachides, du moins pour plusieurs d'entre elles.

La notion d'un Dieu unique, par exemple, impliquant son adoration exclusive et la soumission à sa volonté, résulte de la révélation même de Dieu et de ses commandements. L'histoire de la création de la femme et de l'institution du mariage faite en termes si solennels [5] contient un fondement assez solide à l'interdiction des unions défendues par le quatrième précepte noachide et les rabbins n'ont pas manqué, d'ailleurs d'en déduire la prohibition de l'adultère et des vices contre nature [6]. Le récit du châtiment de Caïn meurtrier d'Abel montre déjà suffisamment que l'homicide est un crime punissable et la loi qui le condamne est formulée ensuite de la manière la plus explicite dans l'alliance établie avec Noé[7]. La défense du vol existe en germe dans la distinction faite par Dieu, maître souverain du paradis terrestre, entre ce qu'il met [8]à la disposition d'Adam et ce qu'il lui interdit [9]. Quant au commandement relatif à l'usage de l'animal en vie, on le lit en toutes lettres dans la loi donnée à Noé après le déluge et que les Docteurs ont également interprétée en ce sens [10]. Ainsi tout le contenu de la loi noachide peut se déduire très facilement, soit de l'histoire d'Adam et d'Eve, soit de l'alliance conclue avec Noé et sa descendance, sans qu'il soit nullement nécessaire de recourir à des jeux de mots exégétiques pour la rattacher aux doctrines bibliques.

§ 2.

Puisque nous venons de mentionner l'alliance faite avec Noé, il ne sera pas inutile de dire ici quelques mots des préceptes qu'elle renferme et de ses rapports avec la loi appelée plus tard noachide.

Nous y trouvons d'abord le devoir de la procréation [11] omis dans la liste des sept commandements peut-être parce que ceux-ci sont purement négatifs et que les préceptes positifs, comme nous l'avons dit, n'ont pas été mis en ligne de compte. Il est possible aussi que l'ordre divin à ce sujet ait été interprété comme une simple bénédiction, selon l'opinion de certains commentateurs à laquelle nous avons déjà fait allusion; il en affecte au surplus la forme, soit parce que celle-ci s'accorde avec la nature même des choses, soit parce que dans le judaïsme les idées de vertu et de prospérité d'une part et celles de culpabilité et de malheur d'autre part s'expriment communément par les mêmes mots. Mais le caractère tout prohibitif des commandements noachides suffit, nous le répétons, pour expliquer l'omission dont il s'agit. Si le précepte cependant tout positif de l'institution des magistrats a été indiqué, c'est précisément parce qu'il est nécessaire d'organiser le pouvoir chargé de punir les transgressions.

Outre le devoir de la procréation, nous remarquons encore dans ce chapitre de la Genèse la loi relative à l'alimentation et qui permet à la nouvelle humanité l'usage de tout animal quel qu'il soit, contrairement aux instructions primitivement données à Adam [12]. La différence paraît intentionnellement soulignée par l'expression [13] biblique elle-même, car après avoir dit: « Tout ce qui se meut et qui a vie vous servira de nourriture », le texte ajoute en effet: « Je vous donne tout cela comme l'herbe verte », c'est-à-dire évidemment de la même manière que les végétaux ont été jadis exclusivement permis à Adam. Les termes si généraux et la forme solennelle de ce passage font songer à la célèbre vision de Pierre dans laquelle une grande nappe contenant tous les quadrupèdes, les reptiles et les oiseaux fut présentée à l'apôtre, tandis qu'une voix lui disait: « Lève-toi, Pierre, tue et mange... Ce que Dieu a déclaré pur, ne le regarde pas comme souillé [14]». On sait que les premiers chrétiens ont prétendu s'autoriser du songe de Pierre pour abolir la distinction que la loi de Moïse avait établie entre les animaux purs et les animaux impurs. Nous ferons observer, quant à nous, que le judaïsme n'a pas attendu ce moment pour faire cesser toute interdiction de ce genre en ce qui concerne l'humanité; il n'en a même jamais prononcé aucune. La liberté laissée sur ce point aux Noachides est aussi complète que les restrictions formulées à l'égard d'Israël sont explicites et cette coexistence de deux lois différentes démontre qu'il serait aussi absurde de vouloir assujettir tous les hommes à des distinctions de cette nature que de prétendre réaliser un progrès en abolissant les lois diététiques même pour les Israélites. Dans sa conception du statut religieux de l'humanité, le judaïsme en effet a toujours professé, au sujet des aliments permis, une liberté spirituelle aussi entière que celle dont l'apôtre Pierre eut beaucoup plus tard la vision symbolique et s'il maintient, pour le compte d'Israël exclusivement, une règlementation rigoureuse sur les animaux purs et impurs, ce doit être pour des motifs d'un ordre spécial. La seule obligation imposée au Gentil, à savoir la mort de l'animal dont il veut faire usage [15], suffit pour sanctionner légalement ces libertés dont il jouit pour tout le reste.

Le verset de ce même passage de la Genèse, d'après lequel Dieu demandera compte à l'homme de la vie de l'homme [16], est susceptible d'une interprétation si générale que le Talmud a pu avec raison y voir la condamnation du suicide[17]. Si Dieu, selon[18] l'expression biblique, doit demander compte « du sang de nos âmes », c'est-à-dire de tout attentat contre la vie humaine, il est clair qu'il réprouve le suicide lui-même. S'il ne s'agissait ici que de l'homicide proprement dit, auquel le suicide peut au surplus être assimilé, on ne voit pas pourquoi la condamnation se trouverait de nouveau formulée en termes généraux à la fin du même verset: « Et je redemanderai l'âme de l'homme à l'homme, à l'homme qui est son frère [19]Comment douter d'ailleurs que le suicide soit réprouvé, quand nous voyons que le criminel qui a encouru la peine capitale et qui par conséquent n'est que la cause indirecte de sa mort, est déclaré responsable de la perte de sa propre vie et appelé à en rendre compte devant Dieu, comme le prouve l'imposition des mains à laquelle il était assujetti avant d'être conduit au supplice.

Ce qui est certainement digne d'attention, c'est la phrase qui termine ce précieux document de l'antique loi noachide; « Si quelqu'un verse le sang de l'homme, par l'homme son sang sera versé, car Dieu a fait l'homme à son image [20] ». Ne faut-il voir dans ces derniers mots qu'une sorte de justification du châtiment capital réservé à l'homicide qui, par son crime, aurait offensé l'image de Dieu? Ne sont-ils pas plutôt la consécration du droit dont l'homme jouit de se substituer à Dieu pour exercer une juridiction sur ses semblables, grâce à cette ressemblance avec la Divinité qui lui donne l'intuition de la vérité morale, la connaissance du bien et du vrai? Si l'on rapproche ce verset de tant d'autres dans lesquels la justice est qualifiée de chose divine et qui nous montrent Dieu siégeant au milieu de ceux qui l'administrent [21] et même en eux, selon la traduction littérale, si l'on ajoute que le condamné à mort est considéré comme consacré à la Divinité [22], on pourrait même dire comme une victime, à telles enseignes que l'on a vu dans l'exécution un sacrifice humain, si enfin on réfléchit aux rapports qui relient tous ces faits et à leur commune physionomie, on n'hésitera pas à reconnaître que la seconde interprétation est bien vraisemblable. Et que l'on ne nous accuse pas de transporter [23]dans l'antiquité hébraïque des idées toutes modernes, car les théologies orientales, celle de l'Egypte comme celle de l'Inde, et Platon lui- même, qui a certainement puisé à des sources antérieures, connaissent la théorie de l'homme fait à la ressemblance de Dieu.

Telles sont les relations existant entre les termes de l'alliance conclue avec Noé et sa descendante et la teneur de la loi dite noachide dont nous allons étudier en particulier les divers commandements.


References

  1. Sanhédrin , 56 b.
  2. Ibidem
  3. Page 665
  4. Ibidem
  5. Genèse, II, 22, 23. 24.
  6. Sanhédrin, 57 b.
  7. Genèse, IX, 5.
  8. Page 666
  9. Ibid, II, 16, 17.
  10. Ibid. IX, 4; Sanhédrin, 57 <super> a</super>
  11. Genèse IX, 1.
  12. Ibid, 3.
  13. Page 667
  14. Actes, X, 13, 15.
  15. Genèse, IX, 4.
  16. Genèse, IX, 5.
  17. Sanhédrin, 57 b.
  18. Page 668
  19. Il convient de noter que cette proposition est précédée du Vav conjonctif, ce qui achève de démontrer qu'il s'agit au commencement du verset d'un autre sujet.
  20. Ibid. vers. 6
  21. Ps. LXXXII.
  22. Lévitique, XXVII, 28, 29; Nombres, XVIII, 14.
  23. Page 669