Israël et L'Humanité - Moïse et les temps postérieurs

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§ 3.

MOÏSE ET LES TEMPS POSTÉRIEURS.

On sait en quels termes Moïse, dans sa bénédiction prophétique, parle de la tribu de Benjamin sur le territoire de laquelle devait s'élever un jour Jérusalem avec son temple: « Sur Benjamin il dit: C'est le bien aimé de l'Eternel, il habitera en sécurité auprès de lui; l'Eternel le couvrira toujours et résidera entre ses épaules [1]». Bien que le nom de Jérusalem ne soit pas prononcé, l'allusion qui y est faite est si transparente que la critique rationaliste, ne voulant pas admettre que la prédiction mosaïque pût répondre si exactement aux événements de l'histoire et ne tenant, semble-t-il, aucun compte des faits nombreux qui, indépendamment de toute inspiration prophétique, désignaient déjà bien des siècles auparavant l'emplacement de la ville sainte, s'est vue obligée de donner à la rédaction de ce passage une date postérieure. Mais c'est là un argument qu'elle fait intervenir toutes les fois qu'elle se trouve à bout de ressources et qui, par sa répétition et le parti pris évident dont il témoigne, perd toute sérieuse valeur. Une étude approfondie de la première apparition de Jérusalem sur la scène de l'histoire, à l'époque de David, comme siège du culte mosaïque, prouve qu'il est impossible que cette ville soit devenue la capitale politique et religieuse d'Israël, sans que son passé ait exercé une influence prépondérante sur le choix qui en fut fait à ce moment là. On ne saurait raisonnablement admettre ni que l'histoire antérieure de Jérusalem soit demeurée sans aucune action dans une décision si [2]importante, ni que tout ce passé ne soit qu'une légende inventée à une époque où la grandeur et le rôle de cette cité se trouvaient déjà consacrés par les faits. Il est donc beaucoup plus logique de laisser aux paroles de Moïse leur sens naturel et d'y reconnaître par conséquent une claire vue de l'avenir appuyée sur des antécédents incontestés.

Outre ce passage si remarquable de la bénédiction mosaïque, nous trouvons encore dans le Pentateuque deux locutions qui, avec de légères variantes, reviennent constamment quand le grand législateur parle de la future capitale religieuse. Il la désigne comme « le lieu que Dieu choisira; le lieu où il fera résider son nom ». Chose curieuse, ces mêmes expressions reviennent chez les écrivains sacrés, après la fondation de Jérusalem, quand ils parlent des intentions de David au sujet de la ville sainte, antérieurement à son élection. Non seulement elles sont une reproduction plus ou moins exacte des paroles de Moïse, mais elles montrent visiblement par le contexte que Jérusalem, dès les temps mosaïques, était déjà dans la pensée de Dieu. Nous lisons par exemple au livre des Rois: « Que tes yeux soient nuit et jour ouverts sur cette maison, sur le lieu dont tu as dit: Là sera mon nom ![3]» Comme ces mots se trouvent dans les livres de Moïse, il est évident que pour l'écrivain sacré Jérusalem existait déjà dans le plan divin. Et dans cette même prière solennelle, Salomon dit quelques versets plus loin: « Quand ton peuple sortira pour combattre son ennemi, en suivant la voie que tu lui auras prescrite, s'ils adressent à l'Eternel des prières, les regards tournés vers la ville que tu as choisie et vers la maison que j'ai bâtie à ton nom, exauce des cieux leurs prières [4]».

Il est vrai que l'on trouve d'autres textes qui sembleraient prouver que Jérusalem n'a été élue qu'au temps de David: « Depuis le jour où j'ai fait sortir d'Egypte mon peuple d'Israël, je n'ai point choisi de ville parmi toutes les tribus d'Israël pour qu'il y fût bâti une maison où résidât mon nom, mais j'ai choisi David pour qu'il régnât sur mon peuple d'Israël [5] ». Le livre des Chroniques reproduit ce passage et le complète: « Je n'ai point choisi d'homme pour qu'il fût chef de mon peuple d'Israël; mais j'ai choisi [6]Jérusalem pour que mon nom y résidât et j'ai choisi David pour qu'il régnât sur mon peuple d'Israël [7]». Mais outre que ce texte peut parfaitement s'entendre dans le sens que, bien que l'emplacement de la ville sainte et du sanctuaire fût déjà arrêté dans les desseins de Dieu, l'exécution de ce plan a été néanmoins différée sans nulle modification jusqu'à l'époque de David, il faut remarquer également le rapprochement qui est fait entre le choix du chef d'Israël et celui de Jérusalem. Or, il n'est pas douteux que c'est la tribu de Juda qui devait donner son roi à Israël; cela résulte expressément des termes de la bénédiction de Jacob: « Le sceptre ne s'éloignera pas de Juda ni le bâton souverain d'entre ses pieds, jusqu'à ce que vienne Schilo et que les peuples se soumettent à lui [8]», et comme la dynastie royale de David se trouve rattachée dans la croyance juive, à l'élection de Jérusalem, il est clair que cette ville était prédestinée aux honneurs de capitale comme la famille de David à la dignité royale. Nous retrouvons les deux idées étroitement unies dans ce verset du livre des Rois: « je laisserai une tribu à son fils (c'est de Salomon qu'il est question), afin que David, mon serviteur, ait toujours une royauté devant moi à Jérusalem, la ville que j'ai choisie pour y faire résider mon nom [9] ».

Il est donc impossible de comprendre ces textes dans le sens que l'idée de Jérusalem comme capitale n'était venue à l'esprit de personne avant l'époque de David. On ne peut y voir tout au plus que la réalisation à ce moment-là de ce qui était depuis longtemps décidé dans les décrets de la Providence.

Les siècles qui séparent l'avènement de Moise de la royauté davidique ne sont pas sans nous fournir également des allusions à la destinée future de Jérusalem. C'est ainsi qu'au temps de Josué, l'emplacement de cette cité semble devoir représenter le sanctuaire, centre du culte, puisque les treize villes désignées pour la résidence des prêtres se trouvent toutes situées dans les environs. Cela est si vrai que Munk conclut de ce fait que le livre de Josué est postérieur à la fondation de Jérusalem. Ne voit-on pas que, dans notre système, les choses s'expliquent bien plus naturellement? Munk lui-même fait observer que Jérusalem se trouvait située au point [10]le plus élevé de la Palestine » Or, cette particularité ne devait pas rester inaperçue et elle nous explique pourquoi Moïse parle de monter vers le lieu choisi par l'Eternel. L'emplacement du Temple nous est représenté comme une montagne dans le cantique de la mer Rouge: « Tu les amèneras et tu les conduiras sur la montagne de ton héritage, au lieu que tu as préparé peur ta demeure, ô Eternel! au sanctuaire, Seigneur! que tes mains ont fondé » Aussi Wogue, commentant les paroles du Deutéronome: « Tu te lèveras, et tu monteras au lieu que l'Eternel, ton Dieu, choisira [11]», dit avec raison qu'il est question de monter « soit parce qu'on est toujours censé monter quand on s'approche de Dieu, soit plutôt qu'il y ait là une allusion prophétique à la situation topographique de Jérusalem désignée d'avance, dans la pensée du législateur, comme la métropole du culte [12] ».

Les Psaumes, même ceux de David, supposent la connaissance des hautes destinées de Jérusalem. A propos du verset: « Célébrez l'Eternel vous qui habitez en Sion », Kimchi dit: « Bien que Sion fût encore au pouvoir des Jébusiens, on savait par tradition que là devait résider la majesté divine et que le sanctuaire devait y être édifié ». Et sur le verset du livre de Samuel [13] où il est dit que David éleva une tente pour l'arche, le même commentateur ajoute; « Chez Obed Edom et chez Abinadab l'arche avait été abritée sous un toit quiconque, car elle n'y était qu'à titre provisoire, mais quand David la transporta à Jérusalem, on savait que c'était là son siège définitif, parce qu'on avait appris par tradition que Jérusalem était la ville sainte et que là devait s'élever le Temple, quoique l'on ignorât dans quelle partie de la ville, jusqu'à ce que David, sur l'ordre du prophète Gad, construisit un autel dans l'aire d'Aravna, le Jébusien, et que le feu y descendit du ciel. Alors David comprit que c'était là l'emplacement du Temple ».

S'il n'existait pas de sérieuses raisons historiques motivant l'élection de Jérusalem, ce choix demeurerait sans explication, puisque l'Ecriture garde le silence à cet égard. La vérité est que l'apparition de la ville sainte comme siège du judaïsme et centre religieux du monde, se fait soudainement dans l'histoire, non point parce qu'auparavant on ignorait totalement ses glorieuses destinées, [14]mais bien parce que sur cette question là comme sur tant d'autres, des plus importantes, il n'a rien été écrit, la tradition étant chargée de nous renseigner à ce sujet.


References

  1. Deutéronome, XXXIII, 12.
  2. Page 522
  3. I Rois, VIII, 29.
  4. Ibid. 44-49.
  5. I Rois, VIII, 18.
  6. Page 523
  7. II Chroniques, VI, 5-6.
  8. Genèse XLIX, 10
  9. I Rois, XI, 34.
  10. Page 524
  11. Deutéronome, XVII, 8.
  12. Le Pentateuque, tom. II, p. 370
  13. I Samuel VI, 17
  14. Page 525