Israël et L'Humanité - Situation des noachides d!aprês l'Ecriture

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III.

Les prosélytes de la porte.

§ 1.

SITUATION DES NOACHIDES D'APRÈS L'ECRITURE.

Si la Bible ne connaissait que cette seule classe de prosélytes complètement assimilés, nous venons de le voir, aux Israélites de naissance, cela suffirait à prouver le caractère universel du judaïsme. Mais L'Ecriture, non moins que la tradition, admet une autre catégorie de prosélytes, celle des prosélytes de la porte, qui n'étaient point astreints à la pratique du mosaïsme et se trouvaient soumis à la loi noachide seulement.

Il est hors de doute que, d'après Moïse c'est cette loi qui, dans les temps antérieurs à sa venue, régissait les Israélites aussi bien que les Gentils. Or si le législateur hébreu avait cru que ces derniers seraient dorénavant assujettis comme les Juifs à la Loi qu'il apportait, n'aurait- il pas parlé, explicitement des nouvelles prescriptions de la Thora, au moment où il reprochait aux peuples païens leurs mœurs coupables et leurs prévarications? Et qu'on ne dise pas qu'aux yeux de Moïse Israël seul comptait désormais à l'exclusion des païens; le fait de recevoir des prosélytes [1]démontre le contraire. Si la conversion des Gentils à la loi mosaïque eût été obligatoire comme pour les Israélites, on ne s'expliquerait pas cette différence de langage, puisque, d'après le Pentateuque, la Providence divine continue à s'exercer pour les uns aussi bien que pour les autres. Cet argument, tout négatif qu'il soit, ne laisse pas d'être concluant, mais les preuves directes et positives ne manquent pas.

Nous voyons par exemple que le Pentateuque autorise et même encourage le gher à faire ce que tant de siècles plus tard les apôtres chrétiens hésiteront à lui permettre, c'est-à-dire à faire usage des aliments défendus à l'Israélite. Comment prétendre après cela qu'il a fallu, de la part de Paul et de son école, un acte de courage pour rompre avec le judaïsme sur la question des charges à imposer au Gentil? L'Eglise de Jérusalem, Pierre, Jacques et tout le parti des judaïsant ne niaient certainement pas que les Gentils, d'après le judaïsme, ne fussent uniquement soumis à la loi de Noé et non point à celle de Moise; c'était là une doctrine trop bien établie et trop constante dans la Synagogue. Il ne pouvait d'autre part venir à l'idée de Paul de contester qu'avant Jésus le salut pour le Juif s'obtenait seulement par l'observation de la loi mosaïque et qu'après Jésus la fidélité à cette même loi n'y faisait nullement obstacle. Les discussions des chrétiens à cette époque sur cet important sujet reposaient simplement, nous ne saurions trop insister là-dessus, sur une fâcheuse confusion des deux lois, de leur économie et de leur destination respective. Le mosaïsme n'avait jamais été et ne devait jamais être que la loi sacerdotale des Juifs et de tous ceux qui librement désiraient s'y affilier, et pareillement la loi noachide était et devait rester toujours un moyen suffisant pour les Gentils d'opérer leur salut; les apôtres étaient également dans l'erreur en voulant rendre uniforme et général l'empire de l'une des deux fois, la véritable religion universelle consistant au contraire dans la coexistence harmonieuse de l'une et de l'autre.

Quoi qu'il en soit, le judaïsme n'a pas attendu l'entrevue d'Antioche [2] pour permettre au Gentil l'usage des mets défendus au Juif. Non seulement il les lui permettait, mais encore il les lui présentait, puisqu'il ordonnait à l'Israélite d'en faire don au prosélyte de la porte ou tout au moins de les vendre au Gentil, le don au prosélyte étant toutefois préféré à la vente. « Vous ne mangerez d'aucune [3]bête morte, dit Moïse; tu la donneras au prosélyte (gher) qui sera dans tes portes, afin qu'il la mange, ou tu la donneras à l'étranger ( nochri ) [4]» Ce don que la loi juive elle-même fait au noachide de l'animal impropre à la nourriture de l'israélite, prouve de la façon la plus évidente qu'elle le considère comme dispensé de l'accomplissement des prescriptions auxquelles ce dernier est soumis. Il y a là en outre incontestablement une pensée charitable qu'on ne peut songer à atténuer en alléguant le manque de valeur de l'animal en question, puisqu'il en a encore assez pour pouvoir être vendu à l'étranger.

La désignation du texte mosaïque: « Au prosélyte qui sera dans tes portes» mérite une attention particulière, précisément parce que les derniers mots semblent à première vue superflus. En effet, elle exclut d'une part le prosélyte de justice en indiquant la seule chose que le gher en question ait en commun avec Israël, la patrie; d'autre part, elle ne permet pas de supposer qu'il s'agisse de l'étranger de passage en Palestine, soit parce que cela ferait double emploi avec le terme de nochri , étranger, que nous lisons à la fin du verset, soit parce que l'expression ne saurait aucunement s'appliquer au Gentil qui ne réside pas dans le pays et ne s'y trouve qu'accidentellement. Nous voyons que dans le Lévitique trois classes d'hommes sont mentionnées à propos du devoir du prêt gratuit: l'israélite (achicha, ton frère); le prosélyte (gher) et le simple habitant du pays (thoschab) [5]. Onkelos et Raschi, commentateurs éminemment traditionnalistes, font du gher et du thoschab deux types d'étrangers tout à fait distincts. Le texte lui-même se charge d'ailleurs de nous avertir qu'il s'agit de frères, titre qui ne se prodigue certainement pas au gentil idolâtre, et n'est-ce-pas déjà un miracle de charité que de le voir attribué à des hommes qui ne sont israélites ni de race, ni de religion et qui suivent seulement la religion naturelle ? Aussi bien, si l'on persistait à voir dans l'étranger dont il s'agit le véritable polythéiste, l'universalisme juif n'en serait que plus remarquable, puisque l'on prouverait par là que le gentil idolâtre est regardé par le Juif comme un frère et qu'il a droit à tous les bienfaits de la charité israélite.

Ce n'est pas, au surplus, la première fois que le Gentil est appelé frère dans l'Ecriture. Ce nom est donné dans le Deutéronome[6] aux Edomites [7]. Il est vrai qu'il y avait un lien d'origine entre eux et Israël, mais sans aucune affinité de religion. Or, comme les liens religieux étaient alors incomparablement plus forts que ceux du sang, les Israélites devaient à plus forte raison qualifier de frères ceux qui, tout en n'observant pas les pratiques de la loi mosaïque, en acceptaient du moins les principes fondamentaux, sans se rattacher toutefois à la race, ni à la nationalité israélite. D'autre part, puisque, malgré la différence de religion, on tenait compte aux Edomites de la communauté d'origine, il ne fallait pas un effort d'imagination bien considérable pour remonter à l'idée de parenté primitive de tous les hommes qu'Israël fut peut-être seul à placer au nombre de ses croyances les plus respectables. Nous avons déjà traité ce sujet à propos de la conception du monde d'après le judaïsme qui est celle d'une famille dont le Père commun est dans les cieux et les fils sur la terre, avec un premier-né qui car Israël et nous avons vu que si l'Edomite est appelé frère à cause d'Esaü, Sodome aussi est nommée la sœur de Jérusalem et que d'une manière générale les peuples sont considérés comme les enfants d'une même famille.

Mais dans le verset qui nous occupe il ne s'agit pas d'étrangers quelconques, encore que le traitement plein de bienveillance qui y est prescrit n'ait rien, on le voit, qui ne soit parfaitement conforme à l'esprit du judaïsme. C'est, nous le répétons, de deux catégories spéciales de Gentils que Moïse parle en cette circonstance, du gher ou prosélyte et du thoschab ou simple habitant. Il importe de préciser la valeur de ces termes.


References

  1. Page 579
  2. Epitre aux Galates
  3. Page 580
  4. Deutéronome, XIV, 21.
  5. Lévitique, XXV, 35
  6. Page 581
  7. Deutér. XXIII, 8