Israël et L'Humanité - Textes des Proverbes, Job et Jérémie

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§ 4.

TEXTES DES PROVERBES, JOB ET JÉRÉMIE.

Ces textes sont au nombre de trois et ils s'éclairent et se confirment mutuellement. Le premier est le célèbre passage du livre des Proverbes, dans lequel la Sagesse divine personnifiée est représentée comme préexistant à la création du monde. « J'ai été établie de toute éternité, dès le commencement, avant l'origine de la terre [1]» Et l'écrivain sacré ajoute qu'elle était à l'œuvre auprès de l'Eternel et qu'elle faisait tous les jours ses délices ». Mais, dira-t-on , où donc est l'identité entre cette Sagesse créatrice, présente à la formation du monde, sans doute pour l'inspirer, et la loi de l'homme, la religion, la Thora d'Israël?

La voici; après ce verset dans lequel la Sagesse déclare qu'elle se réjouit sur le globe de la terre de l'Eternel et trouve son bonheur parmi les enfants des hommes [2], entrant ainsi directement en rapport avec l'humanité et révélant une de ses faces qu'elle tenait cachée, nous lisons ces paroles par lesquelles elle précise elle-même son rôle de législatrice: « Et maintenant, ô mes fils! Ecoutez l'instruction, acquérez la sagesse, ne l'abandonnez pas. Heureux l'homme qui m'écoute, qui veille chaque jour à mes portes et qui en garde l'entrée ». Veut-on maintenant sans aucune transition une allégorie qui fond pour ainsi dire les deux lois l'une dans l'autre? Déjà, dans un chapitre précédent, l'auteur sacré après avoir dit « C'est par la Sagesse que L'Eternel a fondé la terre, c'est avec l'Intelligence qu'il a établi les cieux, c'est par sa raison [3]que les abîmes se sont ouverts et que les nues distillent la rosée » ajoute immédiatement: «  Mon fils, qu'elles ne s'éloignent pas de tes yeux; garde la doctrine et la réflexion; elles seront la vie de ton âme [4] ». Ainsi, cette Sagesse qui créa le monde est aussi celle que l'homme doit écouter, pour posséder véritablement la vie à laquelle sa nature le destine. Mais voici l'allégorie qui nous donne aussi clairement que possible le même enseignement: « La Sagesse a édifié sa maison, elle a taillé ses sept colonnes. Elle a préparé ses viandes, mêlé son vin et dressé sa table. Elle a envoyé ses servantes, elle crie sur le sommet des hauteurs de la ville: Que celui qui est ignorant entre ici! Elle dit à ceux qui sont dépourvus de sens: Venez, mangez de mon pain et buvez du vin que j'ai mêlé. Quittez l'ignorance et vous vivrez; marchez dans la voie de l'intelligence [5]. [6] ». Et les exhortations se terminent par cette parole: « Le commencement de la sagesse, c'est la crainte de l'Eternel et la science des saints, c'est l'intelligence » et par le portrait de la folie «  femme bruyante, stupide et ne sachant rien » dont les invités s'on vont dans les profondeurs du Schéol.

Cette Maison que la Sagesse s'est bâtie, ces provisions qu'elle a préparées, n'est-ce pas manifestement la demeure de l'homme avec les aliments qu'elle réserve à ceux qui veulent suivre ses conseils ? Elle se construit sa maison , comme le principe vital façonne le corps matériel, comme le ver à soie se tisse à lui-même et de sa propre substance la demeure nécessaire à ses merveilleuses transformations. Elle a donc créé le monde pour l'homme qu'elle instruit; elle est à la fois la sagesse cosmique et la sagesse humaine, remplissant successivement le double rôle de créatrice et de législatrice. Ses provisions sont les aliments religieux et moraux qu'elle offre à l'humanité et les messagères qu'elle envoie pour appeler ses invités, ce sont les paroles des prophètes prédicateurs de la foi et de la vertu. Et comme pour confirmer l'identité des deux lois, il est dit que la crainte de L'Eternel, c'est-à-dire la loi de l'homme est le commencement de la Sagesse. Cette Sagesse des Proverbes, loin d'être simplement, comme certains l'ont prétendu, la Morale, la Religion ou la prudence humaine, est présentée [7]comme l'architecte du monde et dans les rapports qu'on lui découvre avec la religion, elle ne perd pas sa qualité suréminente d'intelligence créatrice, disons le mot de Logos.

Qu'est-ce que maintenant que ces saints dont on exalte la science? Nous croyons pouvoir affirmer que ce sont les anges ou tout au moins les hommes qui ont atteint une perfection religieuse extraordinaire. Leur connaissance doit donc être éminemment spirituelle, et s'il s'agit des anges, comme nous inclinons à le penser, cette connaissance doit embrasser un horizon bien plus vaste que la science péniblement acquise par l'homme. Et cependant elle est déclarée identique à la règle humaine, bina ou intelligence, qui dans le parallélisme du verset correspond à la crainte de l'Eternel comme la science des saints à la Sagesse ou hochma.

il faut remarquer enfin que cette folie personnifiée, cette femme insensée qui apparaît comme une frappante antithèse après l'éloge qui vient d'être fait de la sagesse, n'est pas seulement l'ignorance, le vice ou l'erreur, c'est le mal dans toutes ses acceptions et cela en vertu de la loi des contrastes, précisément par ce que la sagesse à laquelle elle est opposée représente avec la vertu et la religion, la beauté, l'ordre, l'harmonie de la création. Si nous ne nous abusons pas, on arrive ainsi à ce résultat peut-être inattendu, mais cependant solidement établi, qu'on retrouve dans la Sagesse et la femme folle au livre des Proverbes le premier type des deux personnages féminins de la Kabbale, Malkhout et Lilit, et des déesses rivales de toutes les antiques théogonies.


Le second texte auquel nous avons fait allusion se lit au XXVIII chapitre de Job. Dieu, après avoir créé le monde par la Sagesse la considère, puis il la manifeste; « Alors il vit la Sagesse et la manifesta (littéralement il la prononça); il la prépara et la sonda [8] », c'est-à-dire que le Verbe intérieur révélé seulement par les œuvres divines se fit extérieur en devenant parole articulée. Mais le verset qui suit met le sceau à la doctrine de l'identité des lois divine et humaine, tellement il l'exprime en termes formels. « Et il dit à l'homme: Voici, la crainte du Seigneur, c'est la sagesse et s'éloigner du mal, c'est l'intelligence ». Ainsi le Verbe intérieur extériorisé est la Loi de l'homme, la crainte de Dieu, l'horreur du mal. L'unité ne pouvait être proclamée d'une façon à la fois plus claire et plus solennelle. Car il ne faut pas s'y tromper. Ce <réf> Page 424 </réf>n'est pas la sagesse éternelle, la loi universelle qui se trouve réduite aux proportions de la sagesse humaine, non, c'est au contraire la loi de l'homme qui est élevée à la hauteur de la loi du monde, tant il est vrai que l'hébraïsme ne se confine pas dans la science pratique, celle qui discipline la volonté, comme certains le lui ont reproché, mais qu'il s'occupe également de la connaissance métaphysique, de la loi de l'Etre et de l'Intelligence. Tous les nombreux passages bibliques dans lesquels il est dit que la vraie science de Dieu, c'est la morale, la crainte du Seigneur, s'éclairent donc à la lumière de ce texte de Job, c'est que cette morale pratique est élevée à la hauteur de la science divine et que la loi humaine et celle de Dieu ne sont qu'une seule et même loi.

Enfin nous pouvons rapprocher des deux textes qui viennent d'être ctudiés un passage de Jérémie qui laisse entrevoir la même doctrine. « Ainsi parle l'Eternel: si vous pouvez rompre mon alliance avec le jour et mon alliance avec la nuit en sorte que le jour et la nuit ne soient plus en leur temps, alors aussi mon alliance sera rompue avec David, mon serviteur [9]» . Ainsi les lois de la succession du jour et de la nuit sont appelées berit, alliance, c'est-à-dire du nom même qui désigne habituellement dans la Bible la loi révélée. Lors donc que les Rabbins nous disent à ce propos que sans la Thora, l'alliance mosaïque, par laquelle, affirment-ils, les cieux et la terre ont été créés, les lois terrestres et célestes n'existeraient point [10], leur interprétation, si éloignée qu'elle paraisse du sens littéral du texte de Jérémie, répond cependant parfaitement au sens intime des paroles du prophète, à l'assimilation évidente qu'il fait entre les deux lois [11].

Disons en terminant que l'accord que nous venons d'établir entre la doctrine des Rabbins et celle de la Bible se trouve confirmé, s'il était nécessaire, par les livres apocryphes. Dans l'Ecclésiastique du fils de Sirach nous voyons en effet que la Sagesse créatrice personnifiée est identifiée avec la Thora; c'est celle-ci qui non seulement a été créée avant le monde et ne cessera jamais d'exister, qui couvre la terre, atteint les cieux, pénètre dans les abîmes et règne sur l'univers entier, mais qui en outre a reçu de Dieu l'ordre d'habiter en Sion, en un mot c'est le livre même de la loi de [12]Moïse [13]. Le grand mot est donc prononcé et désormais les mille échos des Midraschim vont le répéter jusqu'au jour où une religion issue du judaïsme, détruisant sur la terre cette Loi que l'hébraïsme avait élevée, si haut dans les cieux, lui substitua un homme-dieu et transporta dans cet homme devenu Loi le caractère le plus sacré de l'antique Thora qu'on prétendait lui faire remplacer: l'incarnation du Verbe.


References

  1. Proverbes, VIII, 23.
  2. Ibid. VIII, 31.
  3. Page 422
  4. Ibid, III, 19, 20.
  5. Prov. IX, 1-6
  6. Il faut noter qu'en hébreu le mot sagesse, hochmot, seul est au pluriel, tout le régime étant au singulier et que, dans le gnosticisme elle figure comme le dernier des Eons, précisément comme chez les Kabbalistes la dernière sephira porte aussi le nom de Sagesse.
  7. Page 423
  8. Job, XXVIII, 27
  9. Jérémie, XXXIII, 20,21.
  10. Pesahim 68 et Jalkout S. dans Jérémie XXXIII, 25
  11. Il est curieux de rappeler que Lucrèce nomme fœdus naturæ, les lois de la nature, et ritus , les lois des êtres.
  12. Page 425
  13. V. chap., XXIV.